La Saga du Dernier des "ZÂ"















Dans le salon R-824 sourd et feutré … où Noos et "A-C" demeurent consignés
L'air de rien … la couleur orangée continue de gommer les courbures du temps

Avec une sanguine nuance de rouge … carmin
Qui suinte … sans jamais s'y fondre vraiment
Les liqueurs sulfureuses … aigres et amères
De ces tons jaunâtres … aux reflets fauves         
Serpentent … et se répandent en couches
Sur tout ce qui … dans l'environnement   
Peut offrir … d'espaces ou de surfaces

Si bien que tout ici … est couvert
De cette couleur … qui dégouline

Et c'est tout le quartier … qui transpire l'orange
Car tout par ici … est empreint de ce mélange
Qui saoule … et déclenche des hauts le cœur
Chez les plus rudes … de nos pensionnaires

Ni rouge … ni jaune … mais jaune autant que rouge
Cette vilaine couleur orange … parait souffrir
Tout autant … qu'elle peut faire souffrir

Gonflée … des lueurs du sang
Ourlée … de moirures sulfurées
Couleur tiédie … elle mange tout
Elle infiltre … atomes et particules
Moite … et souveraine … elle règne

Ainsi … sans cesse … et sans véritable appétit 
Elle phagocyte et digère … A-Noos et "A-C"
Qui semblent désormais l'un comme l'autre
Anesthésiés et diminués comme les autres
Par l'impérieux pouvoir … chromatique
Qui s'emploie à les éteindre du dedans                   
Afin de les mieux tenir … en respect

Ou plutôt on dirait … qu'elle les suce
Comme on sucerait … une sucette
Ou des friandises … à l'orange
Qui bientôt se liquéfieraient
Avant … que de ruisseler              
Et disparaître à jamais

Tenus … entre ferme rétention et gestation douloureuse
Coincés … au plus profond de leur fébrile cité orange
Ils fondent progressivement … et disparaissent déjà

Entre les murs tiédies … et la formidable poigne 
D'une administration … menée de mains de maître
Par l'implacable autorité … de notre "Trans'Parente"
Déstabilisés par une lente et vertigineuse garde à vue
Aussi règlementaire qu'officieuse … ils ne savent plus

Ils ne savent plus … et commencent même à ne plus désespérer … de ne pas savoir
Suite à des soins dont ils ignorent tout … mais qui pourtant leur sont bien administrés
Ils ne savent pas … ils ne veulent plus … ils ne savent plus … ils ne désirent plus savoir
Pareils à une ombre privée de support … ils sont de plus en plus translucides à eux-mêmes

Flottant ici depuis des semaines … ou dérivant depuis des mois peut-être
Sont-ils séquestrés? … ou en simple transit dans cette enceinte sécuritaire?
Ou depuis trois longues années déjà … ou depuis trois ou quatre décennies?
A moins qu'il ne s'agisse de siècles … de millénaires et peut-être plus encore

Ils ne savent pas … Ils sentent … mais ne peuvent plus savoir
Aussi … en suspend dans le faux jour de leur enceinte protégée
L'un comme l'autre paraissent tout ignorer … et ne rien connaître    
De ces fortes certitudes … qui au dehors leur permettraient encore
De pouvoir assigner un temps défini … et de fixer des jalons fiables              
A chacun des évènements … qui dilatent et usent le flux de leurs vies
                                                                 
Assurément l'idée de " Temps " … a définitivement fini de leur appartenir
Alors comme hier … le temps qu'il fait ce matin ne les tourmentera pas
Car ce qui pourrait subsister de ce temps-là … appartient à l'enquête
Et à ses lourds processus … de progression et de lente maturation
A chacun de ses énigmatiques petits développements successifs
A son impatience … ses tâtonnements et ses rebondissements
A ses extensions polymorphes… à ses molles ramifications
A ses phases régressives … et à ses petits emballements
A ses zones d'ombre et de mystères … et à ses secrets

Ce qui leur reste de temps … est celui de l'enquête
Car c'est elle qui génère … et le Temps et l'Avenir!

Nus et tondus … dans la chaleur des fortifications
Murés … derrière la membrane orangée des remparts
Déplacés … ou chamboulés … comme des fétus de paille
Albert et "A-C" roulent et flottent … hors du temps commun

Et bien que ce temps … continuât par ailleurs de courir
Il semble avoir durablement décidé … de les exclure 
Borgne … il refuse aveuglément de leur appartenir
En tant que qualité de temps … propre à devenir

Dès lors A-Noos et son compagnon de misère 
Ne sont plus que des accessoires éphémères
Et ils n'appartiennent plus … qu'au climat
De cette improbable … et triste enquête
Dont l'issue n'a plus l'air … de sourire
Grippée … telle la girouette rouillée  
Entre hypothèse … et spéculations

Or … pour qu'ils puissent débattre de ce "Temps-là" 
Ensemble … ne serait-ce qu'une pleine demi-heure
Encore eut-il fallu … qu'ils puissent au minimum
En partager une description sûre … et commune

Une heure qu'ils puissent s'offrir … l'un à l'autre
Une heure qu'ils puissent recevoir … l'un de l'autre
Une bonne heure qui profite à l'un … comme à l'autre
Une demie heure … qu'ils regarderaient d'un même œil
Naître et mourir … et dont ils vivraient ensemble le deuil

Mais A-Noos et "A-C" ne partagent plus rien ici … depuis longtemps
Qu'ils ne soient contraints … d'avoir à subir … ou de devoir partager

Et ce désir même … d'avoir à partager
Quelque chose … ou quoique ce soit d'autre
Ils ne le peuvent … et ne le veulent plus partager           

Ils ont été si précipitamment installés … dans leurs abominables petits salons orange
Ils ont été internés de façon si inattendue … de façon si soudaine …  il y a si longtemps
Ils ne savent plus … mais ils supposent qu'ils ne trouveront plus personne pour le leur dire

Aujourd'hui … A-Noos et "A-C" ignorent jusqu'aux motifs officiels de leur internement
Et semblent avoir oublié depuis longtemps … que les effets pouvaient avoir une raison
Ils végètent et semblent se perdre dans l'aveugle salon R-824 … qu'ils ne quittent plus
Ils croyaient y demeurer pour y être questionnés … mais ne pigent rien aux questions
Chacun se défiant de l'autre … ils n'en demeurent pas moins inséparablement scellés
Dans un espace partagé sans conviction … qui ne peut plus contenir l'un sans l'autre
Mais où ils continuent de cohabiter … comme un couple d'embryons hétérozygotes

… /
































/ ....

Après avoir bien marqué … les derniers points de suspension
"A-C" finit par sortir le nez … de son mince carnet orange
Puis enfourne son crayon de bois … loin dans sa poche
Comme si l'on pu lui voler … ou qu'il pu en manquer

Cela faisait au vingt minutes moins … qu'il ne disait plus mot
Ce qui est rare … et ne correspond en rien à sa véritable nature

Seul le bruit du papier gratté … avait osé défier
Le précaire silence … de ces précieux instants

Imperceptiblement il redresse la tête … il semble rêver
Puis doucement l'oriente … vers le jour qui point déjà
Avec sur son visage … l'esquisse à peine d'un sourire
          
On distingue déjà … le sombre squelette de la cathédrale
Qui peu à peu souligne le châssis du vieux hublot orange
Contre lequel Albert Noos continue de dormir … en vrac

Or comme par ici … le retour du jour naissant demeure la seule liturgie
Qui lui soit demeurée accessible … salutaire … et rituellement fidèle
"A-C" vénère l'ombre légère et insolente … qui froidement émerge 
Et perfore l'aurore … en déplaçant les phosphorescences oranges
Pour les rapatrier …  et les concentrer dans la touffeur confinée
Du salon R-824 … où bleuté … pénètre l'œil borgne de l'aube

Froide … la cathédrale dessine sur l'horizon comme l'espoir d'une alternative
Mais ses flèches noires et tronquées … perdront très vite de leur mordant
Pour redevenir bientôt … anecdotiques et transparentes à ses regards

"A-C" apprécie toutes les cathédrales … mais il aime particulièrement celle-ci
Qu'il n'aura cependant … jamais l'occasion de reconnaître dans sa globalité
Cependant … la percevoir même fragmentée lui suffit et le comble d'aise
Percevoir son allure altière … ne fusse qu'un instant … chaque matin
Lui permet de croire encore … qu'un ailleurs existe encore ailleurs 

Chaque matin en solitaire  … dans un silence religieux
Il guette avec ravissement et dévotion … "sa cathédrale" 
Car depuis qu'il occupe le petit salon R-824 … s'avoue-t-il
Outre le réconfort … elle l'a toujours protégé … de tout mal

Ainsi … sans jamais l'oublier … et sans jamais y déroger
la grande ombre bleutée est restée chaque jour … son alliée
Et depuis qu'il mijote … entre les mains de la "Trans'Parente"
Chaque matin … comme suspendu entre baptême et eucharistie
Il flotte un trop bref instant … entre souffrances … et espérances

Après le pic extatique de ce jour … "A-C" oubliera vite la haute façade adorée
Qui petit à petit … émergera des abîmes de la nuit … en milliers d'éclats solaires
Et dont il n'aura plus le loisir de jouir très longtemps … rattrapé déjà par l'ordinaire              

C'est donc bien pour cette transparence-là … qu'il vient d'enfouir le bout de crayon à papier
Avec lequel … depuis quelques pages déjà … il remaniait ses notes avec un soin maniaque

C'est donc pour cette lumière là … qu'il vient de rompre le fil des mots qu'il alignait
Dans l'un de ces calepins oranges … mis à disposition par les équipes de l'intendance
Et sur lesquels il lui a été assigné de narrer … ses toutes premières rencontres avec M°

Oui c'est pour cette source là qu'il reste alors en arrêt … ô lumière combien salutaire
Qui chaque matin vient inonder l'aigreur et l'ombre du monde … de ses rais soyeux

A-Noos … le corps encore lourdement enroulé sur le flanc droit
S'enfoncerait plus bas … si son front ne faisait corps avec le bord
Aigu et glacé … du fenestrons qui baille sur l'éveil de la cathédrale

Recroquevillé sur la meilleure part de lui-même … A-Noos dort toujours
Depuis quatre ou cinq minutes il ronfle … ou plus précisément il ronronne
Une fois encore … il n'aura su jouir de ce sublime instant qui restaure "A-C"

Noos ne perçoit rien de cette ombre bleutée … qui devient peu à peu plus tranchante
Soulignant soudain la clarté d'un petit jour … qui grandit déjà et qui bientôt s'introduira
Chichement dans leur salon … par le seul œil ouvert sur l'ailleurs … le petit hublot orange

De même … léthargique … il ne perçoit rien de l'ultime paragraphe des si précieuses notes
Que "A-C" relit à voix basse … concernant ses premiers contacts avec le très mystérieux M°
Mais dont il eu assurément bu … chacun des moindres détails jusqu'à la toute dernière goutte
Impatient qu'il se trouve … d'avoir à percer le secret des Z'infs … si ce n'est celui des Nabeûls

Toujours droit comme un i majuscule … "A-C" les yeux retournés vers le dedans
Reprend son couplet … sans faire montre du moindre signe de fatigue apparent
Décidé … la tête haute et un peu raide …  il déambule au rythme de son récit

Il a remisé le calepin dans sa poche … et comme à l'accoutumée il poursuit
Préférant dérouler oralement les méandres … et les tunnels de sa mémoire
Bien que très capable … en dépit des consignes … il n'écrit que rarement

Vous noterez donc au passage … si par hasard vous êtes encore là
Que le prévenu "A-C" n'est pas plus fiable que les autres  prévenus                                      
Pas beaucoup plus en tout les cas … que son partenaire Albert Noos

En effet … pour le bon déroulement de l'enquête … il a été conseillé à "A-C" … d'Écrire
Mais non … depuis le début il préfère dire … réciter … raconter … psalmodier … chanter
Rien à faire … il préfère bavarder … bredouiller … grogner … baver parfois … voire vomir
Et sans raison … il persévère et s'obstine … au risque de retarder … de perturber ou de ruiner
L'extravagante mission … d'A-Noos … le rapporteur principal de notre investigation judiciaire
A qui il incombe ... d'enregistrer jour après jour … pour satisfaire aux exigences de l'instruction
De façon claire et probante … le maximum d'informations concernant la réalité … du suspect M°

Or jusqu'à présent … les témoignages collectés
Ne sont pas enregistrés … de manière satisfaisante
Et il serait souhaitable … que cela change rapidement
Afin de répondre … au plus près … et sans se soustraire
Aux rigoureuses exigences de l'inflexible " Trans'Parente "

Il nous faudra donc … rapidement et vivement réagir
Car il est absolument hors de question … de les séparer
Ces deux là … doivent rester comme les doigts de la main
Indépendants … solidaires et tout au service d'un même outil
"A-C" et A-Noos devront désormais … témoigner … et rédiger
De concert … d'une seule et même voix qu'ils le veuillent ou non

Nos experts demeurent formels … deux enquêtes distinctes seraient vouées à l'échec
Sans compter que le prix de revient de procédures séparées … deviendrait prohibitif

- « Oh! Albert vous rêvez ?! 
Écoutez-moi ... un peu
Je vous ai prévenu déjà
Je ne me répèterais pas! »

A-Noos … qui n'a guère dormi plus de trente cinq minutes
A fait un bond … pareil à celui des saumons à contre-courant
Il a la bouche toute ouverte … et le blanc des yeux qui vocifère

Jour après jour … A-Noos enrage
Exaspéré … par les délires d'"A-C"
Nuit après nuits … il lui faut souffrir
L'incessant clapotis de ses divagations
Et d'une cruelle absence … de sommeil

Cruelle … et de plus en plus malsaine      
Cette terrifiante … et toxique privation
Le pousse insidieusement et le contraint
A enjamber … le seuil létal … et funeste
Qui le priverait de tout espoir … d'avenir
Et qu'il ne voudrait surtout pas … franchir

Émergeant brutalement … du plus profond nulle part
Face au petit fenestrons orange … où le jour bleuit déjà
Quelque chose chez lui … qui essaierait de dormir encore
Conclut que cet "A-C" … essaye de le rendre tout à fait fou

- « Un fonctionnaire de la "Trans'Parente" … peut-être?
Qui s'évertuerait à me rompre … et les nerfs et la tête
Peut-être … un vil tortionnaire sommé de me cuisiner? »

Essaye-t-il vainement de s'affirmer … sans vraiment conclure
Afin de ne pas couper la branche … à laquelle il est suspendu

- « Un agent mandaté pour m'abrutir … pour me cuire et me recuire
      Un qui me saoule et puis m'endort … afin de me mieux réveiller
      Un qui me berce doucement … pour soudain me mieux secouer
      Un qui m'empêche de m'assoupir … pour finir par m'assommer
      Qui me captive quand je pourrais dormir … et qui déjà reprend
      Avec cette voix molle qui parfois finit même … par me séduire »

Finit-t-il d'admettre … avec en son for intérieur un profond trouble
Avant de raccrocher au débit fusant … de son compagnon d'infortune
Qui finalement … vu d'ici ressemble aussi ... à une authentique victime

- « Oh! Albert vous y êtes ?
      Écoutez donc un peu ça
      Je vous aurais prévenu
      Je ne me répèterais pas ... »

A-Noos a de nouveau rassemblé une mince part … de ses esprits
Ou du moins … de ce qu'il croit lui rester de ses maigres moyens

A présent en recollant bribes et morceaux … il tâche d'adhérer
A l'improbable trame … des témoignages qui sans discontinuer
Perlent et suintent … de l'esprit apparemment assez bouleversé
De cet infortuné compère … qui partage et stimule sa détention

Noos … malgré son épuisement … s'accroche encore
Et tâche de suivre … à la lettre près … le débit d'"A-C"
S'attachant à n'en surtout pas perdre … la moindre miette
Car il sait qu'en dépit de son épuisement … il devra bientôt
Répondre aux enquêteurs … et reprendre ses comptes rendus   
Leur rapporter minutieusement … et quoi qu'il puisse en coûter
Chaque tranche de la vie d'"A-C" … qui aurait eut maille à partir
Avec l'existence ou la disparition … de ce mystérieux monsieur M°

Monsieur M° … un inconnu dont il ignore tout encore … jusqu'au vrai nom
Un inconnu qu'il ne rencontrera jamais … et dont semblent pourtant dépendre
Les cruelles conditions de sa détention … ainsi que la précarité de sa vie future

A-Noos sait donc qu'il lui faudra s'appliquer … à tout retranscrire
Et à tout transmettre sans faille … dans les plus infimes détails
Sans savoir le plus souvent … de quoi il peut bien retourner
A d'autres binômes d'enquêteurs … toujours renouvelées
Raides et gelées… et qui le considèreront de très haut
Des équipes qui auront tout le temps d'enregistrer
Mais qui certainement … en dépit de leur zèle
Ne comprendrons absolument rien de plus
Aux convulsions de l'histoire en cours

- « … Souvenez-vous Albert … je vous ai déjà raconté qu'à l'époque dont il est question                       

      Plombé par un lisse passé ordinaire … stérile et beaucoup plus orgueilleux qu'efficace
      Malmené entre un présent aussi complexe que précaire … et le plus irrésolu des avenirs
      Je fréquentais désormais très régulièrement … cette zone que j'appréciais passionnément
      Car ce qu'elle m'offrait à vivre au quotidien … m'était de jour en jour un peu plus salutaire

      Plus je la couvrais … plus je la désirais … plus je la convoitais … plus je la trouvais
      Plus j'en déduisais qu'elle m'était destinée … et qu'elle avait été dessinée pour moi
      Plus je convenais d'évidence que nous étions elle et moi … faits l'un pour l'autre

      Je sentais toujours plus intensément … que la relation qui me liait à ce morceau de nature
      Allait grandissant … et que mon lien à ses largesses … prenait déjà une tournure addictive
      Coupé du monde j'y passais d'interminables heures … seul en tête à tête … avec moi-même
      Et par tous les temps … et presque tous les jours que la semaine faisait … je m'y enfouissais
      Seul à seul avec ce petit trésor … je m'immergeais en son sein virginal … jusqu'à m'y oublier
      Jusqu'à défaire les folles accumulations de contradictions … qui minaient alors mon quotidien

      Jusqu'à ce jour où ayant depuis longtemps déjà … renoncé à débrouiller le mystère des lieux
      Et méditant les yeux clos sur quelques vicissitudes … qui avaient osé me poursuivre jusque là
      Me redressant apaisé … après m'être débarrassé de ce qui m'accablait … là soudain je l'aperçus

      Il était là! ... Il était là ... seul … ! Et je reconnus instantanément le teint bistre … de la main torve
      Qui avait si longtemps obsédé le cours accidenté de mes nuits … alors si fréquemment tronquées ... »

- « Qui était là?! ... » demande subitement Noos … en se cabrant

- « Qui était seul?! ... » supplie-t-il … en pointant le nez en avant

- « Le nabeûl?!... » laisse-t-il tomber avec une désinvolture feinte

- « Non Albert ... il ne s'agissait en fait que du type à la main … souvenez-vous
      Celui-là même qui me fit redescendre de la crête … comme jamais plus depuis
      Celui-là dont je ne vis avant de m'enfuir … qu'une main aux teintes cadavéreuses

      Pour être précis … il s'agissait du propriétaire de l'affreuse main grisâtre
      Qui me fit si peur … et me terrorisa sans apparente ni véritable raison
      Lors de ma première et mémorable incursion dans l'écrin de verdure
      Que protégeait la mêlée des chênes revêches … qui toisent la crête
      La où il y a un an … innocent … je m'aventurais pistant les ceps

      Cependant … comprenez-moi bien Albert
      Pour moi … il ne pouvait alors en aucun cas
      S'agir de ce fameux nabeûl que vous paraissez
      Attendre … avec impatience et féroce nervosité »

Effectivement A-Noos paraissait assis sur un lit … de chardons ardents
Avec la plante des deux pieds enfoncées … dans un brasier rougeoyant

Car derrière son effroyable exaspération … il percevait encore
Les voix pleines d'amère persévérance … de Sabra et Satïya
Qui sans répit le pressaient … en répétant sans alternative

- « A-Noos vous saviez que M° était un Nabeûl!
      Depuis quand … depuis quand le saviez-vous?!
      Albert Noos!... Nous savons que vous le saviez! »

Et Noos au paroxysme du stress … résigné … se taisait
Et pourtant … il eut tant voulu savoir … pour pouvoir
Pouvoir répondre poliment … répondre parfaitement
Pouvoir en finir … enfin … pouvoir s'extraire de là
Quitter cet enfer orange … retrouver l'azur de l'air
Les yeux de sa femme … le fou rire des enfants

- « Veuillez s'il vous plait nous excuser … pour cette petite interruption momentanée
      Excusez-nous une fois encore … et permettez-nous d'intervenir trente secondes
      Pour couper court à tout nouveau malentendu … à propos de "Sabra & Satïya"
      Les prénoms aléatoirement portés … par nos deux commissaires instructeurs
      Lors de l'instruction menée dernièrement … auprès du patient Albert Noos
      Admis au sein de nos services d'investigation … à titre de témoin assisté

      Nos équipes en charge de la communication … sont toutes formelles
      Et rappellent avec autorité … à toutes les parties dument concernées
      Que "Sabra & Satïya" … ne sont que d'ordinaires "noms de baptême"
      Et qu'ils n'ont rien à partager … avec l'idée d'un quelconque massacre
      Comme semblent vouloir le suggérer … sous couvert de lectorat libre
      Certains réseaux d'internautes qui tentant d'échapper aux lois Ztarkôsï
      Transgressent … les règles établies … depuis déjà quelques décennies
      Par la législation des nouveaux administrateurs de la " Trans'Parente "
      Et qui … jusqu'à nouvel ordre … demeurent officiellement en vigueur
      Quant à l'interdiction catégorique de faire mention du "concept tabou"
      Désigné par les termes ... Massacre ou Génocide … devenus proscrits!

      Ainsi prendrons-nous soin de réaffirmer avec force … qu'il ne s'agit là
      Que d'une vulgaire coïncidence … qui ne possède en vérité aucun lien
      Avec les évènements perpétrés … dans les villages de Sabra et Chatila
      Où l'on dit qu'à l'automne 1982 … des milices libanaises assassinèrent
      Une multitude de civils … établie dans les camps de réfugiés du Liban
      Sous l'œil complice des forces israéliennes … et sous le regard aveugle
      Des autorités politiques internationales … qui laissèrent venir le drame

      Cependant même si désormais … les valeurs du présent
      Demeurent souillées encore … par l'âcre odeur du passé
      Il nous faudra malgré tout … poursuivre nos recherches

      Et terminer la séries d'examens … en cours d'instruction
      Pour espérer répondre … à ces deux questions si épineuses
      Qui de nuit comme de jour … taraudent nos meilleurs limiers

- " Qui a bien pu commanditer et organiser … cet absurde attentat
      Perpétré contre le porteur A-1640 assurant le vol AF 8652...? "

- " Et pourquoi … ?!" 

      Car les vrais mobiles de l'enquête sont là … !

      Bien! … nous allons à présent pouvoir vous libérer
      Et clore à l'instant … ce rapide intermède préventif
      Cependant … avant de vous laisser aller plus avant
      Nous profitons … de ce bref bulletin d'information
      Après avoir dissipé … le déplorable malentendu lié
      Aux prénoms fortuits … de nos agents instructeurs
      Pour rappeler vigoureusement … à nos administrés
      Que l'usage non accrédité … de vocables prohibés
      Tels que … Détournement … Excès … Corruption
      Abus de pouvoir … Terreur … Viol … Destruction
      Exécution … Homicide … Infanticide … Génocide
      Meurtre … Massacre … Carnage … Tuerie … Etc
      Peut être immédiatement et sévèrement sanctionné
      Voire même … source de superbes emmerdements
      Tels qu'internements prolongés … et irréversibles!

      Sur ce … nous nous excusons de vous avoir imposé cette brève interruption
      Et nous vous laissons dès à présent … reprendre le cours de cette enquête... »

- « A-Noos saviez-vous que M° était un Nabeûl?! …
      Albert Noos! … Nous savons que vous saviez! … »

Continuent froidement les deux enquêtrices … sans offrir d'autres perspectives
Quand Noos lui … perché au sommet du désespoir … aurait tant voulu savoir!

Savoir pour débloquer le système … répondre et clore cette enquête
Saluer poliment tout le monde … s'esquiver … puis partir en vacance
Partir avec Nanêh … partir pendant un mois … avec ou sans les enfants
Il aurait vendu son âme de reporter pour savoir … et puis publier le scoop
Satisfaire "Sabra & Satïya" … conclure le contrat … et libérer les prévenus
Renvoyer "A-C" par delà ses dires … et rendre au monde sa "Trans'Parence"

Albert Noos ne rêve plus … que de savoir
Alors qu'"A-C" lui … n'aspire qu'à reconnaître
Albert Noos n'attend plus … que de tout connaître
Quant à "A-C" il ne désir rien d'autre… que d'avouer
Et le binôme qu'il commence à former … semble parfait
L'un … pour enregistrer ce que l'autre … lui colle à l'oreille
Et l'autre … pour dire et avouer ce que l'un se meurt d'entendre

"A-C" lui … semble n'accorder aucun intérêt à l'agitation de son voisin
Et n'a de cesse … que de dérouler sans autre interruption le fil de son récit
Sans considération aucune … ni attention à l'égard du stress de son confident
Il poursuit sans ciller … sans la moindre considération pour la curiosité d'Albert

- « Non Albert … il ne pouvait pas encore s'agir d'un nabeûl
     Car il se trouve à dire vrai … qu'en ce moment précis des faits        
     Comme vous … je ne savais encore rien … du monde des nabeûls
     
     Sachez d'ailleurs … qu'il me faudrait demeurer bien longtemps encore
     Sans rien connaitre de leurs petits mondes parallèles ... très très longtemps

     Avant d'en soupçonner l'existence ou d'en avoir même … l'ombre d'une idée

     Et ce M° … que j'apercevais de loin cet après-midi là
     N'avait à première vue … rien de suffisamment frappant
     Qui puisse retenir … mon attention de flâneur contemplatif
     Et alors que je m'enfonçais … sous un ample couvert végétale
     Afin de me rendre invisible … et m'effacer dans l'ombre épaisse 
     Ce que j'apercevais alors … croyez-moi! … n'avait rien de nabeûl
     Car d'où j'étais … ce que je découvrais ne ressemblait à rien du tout!

     Insouciant … et à mille lieux de m'intéresser à d'autres choses
     Que moi-même … et à ce "Moi" que je traquais si intensément
     En pistant les improbables traces de bolets … ou autres lactaires
     Qui m'offraient de si anodines occasions … de draguer la colline
     Et de courir la garrigue hirsute … jusqu'à perdre haleine et orient
     Je finis bientôt par tomber sur M° … planté là à environ vingt pas
     En contrebas de la draille dans laquelle je progressais tout évaporé  »

- « Et alors?!.... »

Avait alors laissé échapper Albert Noos … interpelé soudain par le ressaut du récit
Cependant que dans la clarté matinale … il tentait vainement de retenir sa question
Pour ne pas faire obstruction au débit d'"A-C" … qu'il regrettait déjà d'avoir heurté

- « Et alors?!.... »

Reprit-il avec un ton pitoyable … incontrôlé et doublé d'une frénésie non dissimulée
Puisque manifestement … il était déjà trop tard pour retenir son impérieuse curiosité
Et qu'il savait d'expérience … que pour rien au monde "A-C" ne briderait là son élan

- « Alors?! …  eh bien finalement … pas grand chose!
     A l'ombre d'un chapeau mou … il me tournait le dos
     Indolente et légèrement orientée vers le sol … sa tête
     Paraissait faire l'objet … d'une lourde transe intérieure
     Et un mouvement discret trahissait … le rêve démesuré
     D'une âme légère … dont le corps n'existerait pas encore
     Ou le rêve immobile d'un être … sur le point de sursauter
     Brutalement … dans les éclats orangés du réveil imminent

     Et si j'avais été un peu plus près … j'eus pu affirmer 
     Sûrement … qu'il soufflait très fort … ou parlait haut
     Comme ces dormeurs absorbés … en phase paradoxale
     Qui paraissent … plus préoccupés … qu'à l'état de veille
     Et qui pourtant … restent sourds … à toutes sollicitations
                                                              
     Une toute petite tache … de trois fois rien du tout
     Un tout petit point … à peine plus gros qu'un poing
     Sur une tapisserie démesurée … d'ocres et de verdure

     Notre M° n'était alors … qu'un minuscule point noir
     Dans le décor acéré et broussailleux … de la garrigue
     Un point obscur … comme au point mort dans le décor



     Et ce monsieur M° … dont ils nous bassinent tant par ici
     N'était alors pas plus gros … que le fruit mûr d'un cade
     Immobile et nonchalamment prostré … sur lui-même
     Sûr! il me semblait … ne ressembler à rien du tout

     Il était … presque invisible à l'œil nu
     Et semblait … totalement transparent
     Au point même … d'avoir à en douter

     Et par moment … j'avoue qu'il me fallu
     Beaucoup d'efforts … pour ne pas voir
     Sa silhouette improbable … se perdre
     A jamais … dans les replis du temps

     En respirant … en me calmant et m'approchant
     Fasciné par le vacarme … de ma propre stupeur
     Je notais qu'il avait … une taille plutôt moyenne
     Et qu'il n'affichait aucun signe distinctif apparent

     Il portait des vêtements sombres … larges et légers
     L'aspect ordinaire … voire la pauvreté de son allure
     N'était en rien misérable … et n'avait rien d'alarmant
     Ni rien … qui puisse produire une quelconque terreur

     Sans doute ... étais-je déjà en train de m'habituer 
     Car l'improbable présence … de ce spectre aphone
     Que je percevais souvent mal … et par intermittence
     Du poste de vigie … où discrètement je le considérais
     Ne m'inquiétait déjà plus tout à fait … comme il y a peu  
     Et stupeur … je commençais même à savourer son silence

     A l'abri derrière la solennité d'un vieux chêne … le visage dissimulé
     Derrière un mince treillis de végétaux secs … que je n'osais plus
     Ni franchir … ni faire bruire … par crainte … d'avoir à trahir
     L'injustifiable posture … dans laquelle je me trouvais être
     Et mon attitude clandestine … pas vraiment reluisante
     Je m'accoutumais … au plus inattendu des tableaux
     Et recouvrant peu à peu … un rythme cardiaque
     Stable … viable et en phase avec le contexte
     Dont je parvenais à assumer tout à la fois
     Le caractère improbable … et précaire

     Et cette posture … qui n'avait rien de résolument illicite
     Mais qui n'avait rien … de franchement glorieux non plus
     Me devenait plus confortable … augmentant le malin plaisir
     D'avoir comme entité clandestine … à devoir voir sans être vu
     Et le privilège …  de pouvoir jouir à souhait du profil droit de M°
     Qui venait de s'assoir en tailleur … sur une pierre calcaire … plate
     Et miraculeusement orientée … dans l'axe vulnérable de ma planque

     Son visage inexpressif était relativement sombre … sans paraître obscure
     En fait … c'est la couleur même de sa peau … qui paraissait toute crayeuse
     Et je retrouvais là l'exacte nuance grise … de la main qui m'avait mis en fuite

     Cependant … il ne s'agissait en rien … de ces reflets morbides
     Qu'il se peut découvrir … sur l'épiderme refroidi … des cadavres
     Mais plutôt de cet aspect olivâtre … commun à certains sangs-mêlés
     Une teinte similaire à celle qui … récurrente par ici … sature l'horizon
     Et qui … comme nous l'avons déjà noté… n'a rien d'une couleur primaire
     Mais une teinte terne … qui perlerait entre un vert olive et un orange rouillé

     A moins que … ce léger petit quelque chose
     Que cette étrange nuance grisée … sur la main
     Qui m'avait mis en déroute … en proie au vertige
     A moins que le reflet que j'avais cru … cadavérique
     Cette manière de couleur … qui n'en semblait pas une
     Ne soient radicalement différents … de ce que je voyais
     A moins que cette nuance ne soit rien d'autre … après tout
     Qu'une teinte ignorée … que je n'avais jamais eu à examiner   
     Une couleur bêtement … que je n'attendais pas croiser ce jour ?»

"A-C" se tut … tandis que son esprit après avoir instinctivement dessiné
Sous le plafond orangé du petit salon … à présent piqué de tâches solaires
L'enroulement pointé … et la perplexité de son dernier point d'interrogation
Jugeait amèrement … les ténébreuses propriétés narcotiques des tons orangés
Qui sans discontinuer … mordoraient la moiteur qui leur servait de plafond bas
Et qui mêlés … au rythme de son débit atone parvenaient à modérer l'impatience
Et cette curiosité acerbe et calculée … qu'A-Noos bandait vers ses précieux aveux

Ses regards balayant sans distinction … et les zones ensoleillées … et les zones brunes  
Comme il en avait pris l'habitude depuis un certain temps … les yeux ouverts sur le vide
Avec des postures mentales et corporelles … semblables à celles qui souvent stigmatisent
Le comportement des animaux … soumis depuis trop longtemps … à un excès de captivité
A-Noos luttant pour ne plus se rendormir … le nez pointé vers le plafond orange et incertain
N'osa plus cette nuit là … poser la plus neutre des questions … malgré l'envie qui le taraudait